Yves

L’annonce du cancer m’a foudroyé dans un ciel serein et ensoleillé, de juillet 2016. La chimiothérapie et les 35 séances de radiothérapie restent un long tunnel obscur et douloureux et je voudrais partager en quelques lignes mes tâtonnements pour en sortir, non seulement vivant, mais peut être aussi plus sensible sur le plan humain. J’ai repris une vie presque normale, même si les séquelles et les douleurs ne sont pas négligeables, mais aussi et surtout, je suis heureux.

Quelques éléments restent à mes yeux essentiels. 

Tout d’abord avoir limité l’annonce de cette maladie, spéciale certes, mais ou bout du compte une maladie, seulement aux personnes susceptibles de m’apporter un réconfort positif et des énergies bienfaisantes. J’ai été absolument comblé ! bien au delà de ce que ma vie à toute vitesse m’avait donné le temps d’apprécier. Ma famille a été tellement présente, à chaque instant, les visites d’amis surs, les fleurs, les mails d’autres plus lointains, d’autres continents aussi m’ont accompagné. Leurs paroles, leurs prières dans leurs religions, mais aussi les musiques qu’ils m’ont envoyées, les nombreux films qu’ils ont sélectionnés, les livres qu’ils m’offraient ont transformé le noir tunnel des traitements en un univers chargé de musiques affectueuses et de films qui m’ont permis de faire obstacle, parfois le temps d’un instant aux effets de la maladie. Affection et amour donc, mais aussi et surtout sa matérialisation : des fleurs, des mots, des films, des musiques, des évocations de moments de bonheur. Quand je retourne vers cette époque, il y a moins de deux années, je la ressens comme un moment d’ouverture, par exemple vers des musiques dont je ne connaissais pas l’existence. 

La deuxième arme pour lutter contre la douleur et la peur de la mort qui attend au tournant est surement la résistance mentale : occuper ma tête, le plus d’instants possibles avec des pensées, des explorations le plus longtemps possible grâce aux ressources illimitées d’internet, ou grâce à des petits projets de mémorisation qui eux aussi permettent de faire oublier les douleurs, l’effondrement du poids, l’incapacité de s’alimenter, les sondes nasales et j’en passe. J’ai par exemple décidé de mémoriser les noms, l’histoire et l’architecture de la trentaine de ponts qui enjambent la Seine. Là encore cet exercice m’ouvrait mentalement tous les jours vers des ballades insouciantes et heureuses du passé. Découvrir que même si le corps disparaît, la tête fonctionne encore, qu’un nouveau pont et son histoire est mémorisé et visualisé me faisait du bien. 

Je ne sais pas trop pourquoi, mais sur une feuille de papier, j’ai dessiné une double spirale et j’ai écrit ces mots ambigus « vers les étoiles ». Sur cette ligne vers un temps incertain, j’ai inscris chaque date de séance de radiothérapie. Et chaque fois que je retournais d’un séance, je rajoutais une petite pastille de verre sur ce chemin en comptant : plus que trente, plus que vingt, plus que six, cinq, trois, deux, une, fini ! Bon, c’était oublier que le plus dur m’attendait après la fin des traitements, mais pendant le traitement cette matérialisation des séances qui passent fut bien utile. 

Je ne remercierai jamais assez les infirmières, les médecins mais aussi et surtout les diététiciennes de l’Hôpital où j’étais soigné. Ces dernières m’ont vraiment aidé à inventer des solutions, à moins tâtonner pour m’alimenter, même un peu, à trouver des artifices pour absorber les protéines nécessaires pour moins dépérir. Leurs conseils, éclairés, leur bonne humeur, [leurs rebuffades aimables aussi !], m’ont permis de prendre conscience que concentrer l’instinct de survie sur l’alimentation est essentiel. Ces leçons de vie, d’alimentation plus saine [ce n’était pas le cas avant !] m’animent encore aujourd’hui et me permettent de mieux vivre.