Michèle, accompagnante

Pour le cancer du larynx en 2005 et la laryngectomie qui en a suivi, nous étions hébétés. Jamais nous n’avions entendu parler de cette opération ni connu quelqu’un qui avait ça. Quand après l’opération, nous avons appris qu’on lui avait retiré les cordes vocales, notre  fils  (qui avait alors 12 ans) et moi avons beaucoup pleuré. Nous savions  combien ce serait douloureux pour lui. Nous avions espéré qu’il les garderait. Toute la nuit, je me suis demandé   comment il allait  faire pour dire qu’il avait  mal.

J’ai maudit la cigarette et ceux qui la fabriquent  bien que j’ai fumé moi aussi

On lui a posé une prothèse phonatoire. Mais  au bout d’un an, il  ne parlait toujours pas et les médecins disaient qu’il n’était pas fait pour la prothèse. Ils voulaient lui retirer. C’était d’une grande violence pour lui. Il n’arrivait pas à s’adapter à ce nouvel état. La prothèse  avait été pour lui la condition de l’acceptation de l’opération.

J’ai eu l’idée de contacter le laboratoire qui fabrique la prothèse. Ils l’ont reçu et 5 mn après il parlait.  J’ai été vraiment en colère contre l’hôpital car en fait ils ne savaient pas la faire fonctionner et l’en rendaient responsable.

Bien sûr pendant cette année-là, je l’ai accompagné aux séances d’orthophonie et aux contrôles ORL. Mais dès qu’il a eu retrouvé l’usage de la parole, il a repris son autonomie et  circulé seul en voiture.

Il a pu retravailler  et nous avons passé 10 ans presque normaux. Bien que la radiothérapie lui ait laissé beaucoup de séquelles : perte de l’odorat, du goût, cou déformé, gonflé, écarlate.

C’était déjà très cher payé pour la cigarette.

 

Quand le 2ème cancer (bouche œsophagienne) a été diagnostiqué en mars 2016, je n’ai assisté qu’à quelques réunions  pluridisciplinaires. Je l’ai accompagné quand le son de sa voix s’est très affaibli.

La chimiothérapie l’a totalement cassé. Malgré une régression de cette  petite  tumeur, il ne voulait plus faire de chimiothérapie. L’opération n’était pas possible, alors ils lui ont donné le quota de rayons qui lui restait. Et ça été une catastrophe. Un gros œdème s’est développé et il ne pouvait plus manger ni boire.

Il a accepté  la pose d’une sonde de gastrostomie. Ça aussi nous n’en avions jamais vu ni entendu parler. Il a perdu 10 kg !

Cette opération et ce qui s’en est suivi : refus de certains hôpitaux non spécialisés de le prendre en charge et cette méconnaissance  de certains personnels m’ont poussée  à intervenir de plus en plus souvent.

Nous avons  vécu des moments vraiment  difficiles. Beaucoup d’angoisse

Les infirmières venaient 2 fois par jour pour faire les pansements. Nous n’en pouvions plus de les attendre, de dépendre de tout ce monde. Alors, moi qui ne voulais pas toucher cette sonde, j’ai décidé de la prendre en charge et ça a tout changé. Nous l’avons apprivoisée tous les deux. Je fais les pansements. Il n’y a plus d’infirmières sauf une fois tous les 15 jours pour superviser.

 Nous n’avons  plus peur quand la sonde sort de l’estomac.

J’ai acquis une petite expérience à force de m’en occuper. Et cela le rassure et me rassure aussi.

J’ai pris en charge toutes les plaies et le trachéostome aussi car il était sous mes yeux. J’ai eu jusqu’à 6 pansements différents par jour.

Je suis devenue omniprésente dans cette maladie et ce n’était pas du tout mon désir.

Mais avec ces deux handicaps majeurs, l’absence de parole  - on me demande tout le temps de traduire les chuchotements – et la surveillance de la sonde gastrique, je suis sûre qu’il n’irait pas seul à l’hôpital faire la chimio.

Je suis devenue omniprésente car je suis l’intermédiaire avec les soignants : prise de rendez-vous, «  lanceur d’alerte »  quand je vois quelque chose de bizarre. 

Je me suis faite aussi son avocat. Je l’ai pris en charge et je prends soin de lui  comme on le fait d’une personne fragile, souffrante, désemparée.

Il en a été soulagé. Il se sent soutenu, aimé, défendu et cela contribue beaucoup à ce qu’il se batte contre la maladie.

 

Je trouve que le patient et son aidant sont quand même un peu seuls  face à la maladie.

Les problèmes arrivent souvent la nuit ou le week- end quand les médecins concernés ne sont pas là.

Les médecins ne nous donnent pas beaucoup d’informations. Il faut vraiment poser les bonnes questions pour avoir une réponse. Sans questions pas d’informations. Et pour poser les questions il faut aussi s’informer.

 

Le mot qui me revient le plus c’est angoisse : angoisse devant l’inconnu, devant l’avenir, angoisse sur mes capacités à faire le bon geste, à avoir la bonne réaction. Et beaucoup de peine et d’impuissance devant ses douleurs que je ne peux pas soulager.

Il est pris dans une forme de dépression. L’expulsion de la prothèse phonatoire et la perte de la parole ont été un vrai choc traumatique.  Ce cancer lui a totalement « colonisé » l’esprit. 

Je répète : il  paye  vraiment le prix fort pour la cigarette.

 

Après la radiothérapie, comme il n’avait pas eu de chimiothérapie depuis plusieurs mois, la tumeur avait progressé. Il a souhaité une consultation avec un ORL d’un hôpital spécialisé dans le traitement des cancers. Celui-ci  s’est montré  pessimiste mais il lui a proposé de continuer à la suivre bien que la maladie et ses traitements ne soient plus de son ressort.

Nous avons pu constater la différence entre l’hôpital  public et cette fondation centrée sur le cancer. Parce que tous les patients souffrent du même mal on y voit  une   attention   bienveillante les uns   envers  les autres. Beaucoup d’échanges  aussi car certains se retrouvent souvent à l’hôpital de jour. Et une curiosité pour le cancer de l’autre qui ose s’y exprimer. On dirait presque «  la grande famille des cancéreux « 

Le personnel médical est attentif au confort des patients, à ses maux.

Je pense que cela lui a fait du bien de se retrouver dans une structure bienveillante et il a pu reprendre le traitement plus en confiance.

Après s’être stabilisée, la tumeur a de nouveau progressé et l’oncologue lui a proposé de participer à une recherche sur l’efficacité de nouveaux traitements.

Il n’a pas été retenu lors du tirage au sort  mais suite à un gros couac  le concernant  on lui a proposé de rester dans le service. «  On a plein de trucs ici »  lui a dit l’oncologue.  Ce couac a été une vraie chance pour lui !

La dimension de l’hôpital  est certes plus intimidante, la distance beaucoup plus longue, mais le personnel est tout aussi bienveillant, empathique. On sent TOUT  le personnel de l’hôpital tendu vers ce même objectif : être au service des patients.

 Les médecins essaient de traiter tous les problèmes. C’est rassurant.

Pour le moment, la tumeur s’est stabilisée mais nous savons que lorsqu’elle ne le sera plus, on

lui proposera d’essayer un autre traitement. Un traitement  que j’imagine beaucoup plus pertinent que dans un autre hôpital.  Ça aussi c’est rassurant.

Et pour le moment aussi, je n’ai pas eu à me battre contre qui que soit.

Tout n’est pas idyllique non plus  bien sûr mais pour nous  c’est beaucoup plus confortable.

Je le répète : une chance !