Marianne

Après réflexion, il me semble que cela a commencé en fin d’année 2017 ou début d’année 2018 par une douleur au côté gauche au fond de la bouche. Une douleur que je ne savais pas localiser précisément entre les dents, les gencives… Puis je pense que je me suis passé la langue sur les molaires très fréquemment et eu l’impression de me mordre ou de me blesser la langue avec des dents que j’ai fini par juger trop pointues. J’ai vraiment pensé pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois que j’avais un problème de dents. J’ai pris rendez-vous chez mon dentiste et demandé à me faire limer les dents, ce qu’elle a fait, en février. Pendant la consultation, j’ai plus particulièrement fait attention à cette phrase : « la langue est blessée mais cela ne va durer, la langue cela cicatrise très vite ».

Plusieurs semaines plus tard, je ne pouvais plus accuser mes dents, la plaie n’avait pas diminué, la douleur devenait lancinante, supportable mais permanente et je commençais à toujours mâcher du côté droit. J’ai pris rendez-vous chez mon généraliste qui m’a mis sous antibiotiques. Les petits points blancs sur la plaie se sont résorbés mais pas la plaie. Il m’avait dit de revenir le voir s’il n’y avait pas d’évolution. J’avais espéré constater une réduction du phénomène, ce qu’il n’a pas confirmé quand je suis revenue le voir.

Nous avons deux enfants et ma seconde fille a déclaré une leucémie à l’âge de 6 ans, en 2015. Mars 2018 signifiait une grande étape de délivrance avec la fin de son traitement. Nous avions programmé un voyage dont nous rêvions depuis longtemps pour fêter cette étape importante. A une semaine de notre voyage en Sicile, mon inquiétude grandissait, le généraliste me donnait les coordonnées de deux stomatologues à contacter et ne m’avait pas caché qu’une biopsie était sans doute nécessaire. J’associe la biopsie au cancer, je commençais à envisager cette hypothèse bien qu’il m’ait dit, à 40 ans, je n’y crois pas, vous n’avez pas le profil.

J’ai reporté au retour des vacances en Sicile la recherche du rendez-vous chez le stomatologue, il est toujours difficile de libérer une demi-journée à consacrer aux appels téléphoniques nécessaires aux prises de rendez-vous médicaux. J’ai pris la décision de ne pas gâcher cette semaine et de profiter des bons plats siciliens malgré la gêne des repas.

Vive les ponts entre week-ends et jours fériés du mois de mai, un lundi entier pour trouver le stomatologue recherché. Aucun des deux confrères conseillés n’était disponible dans un délai raisonnable : «  je peux vous proposer une date en septembre » « quel est votre problème ? Une plaie à la langue ? Désolée, il ne s’occupe plus de ce type de prise en charge »… Je trouve un rendez-vous fin juin à la Pitié, je tente les demandes par internet dans certains hôpitaux, je finis par chercher un rendez-vous sur internet et miracle, un créneau est proposé à 19h un vendredi entre un jeudi férié et un week-end.

Il ne lui a pas fallu dix secondes pour qu’il se fasse sa conviction et qu’il m’annonce qu’à 90% il devait s’agir d’une tumeur cancéreuse. J’ai apprécié sa grande réactivité et sa franchise. J’ai pris quelques minutes pour encaisser bien que cela venait confirmer ce que je craignais depuis quelques temps maintenant. Il m’a donné rendez-vous dès le lundi suivant pour réaliser la biopsie. Je tombe très rarement malade, j’ai été opérée une fois des végétations quand j’étais petite, j’ai appréhendé cette intervention sur la plaie. Personne n’apprécie les piqures pour l’anesthésie des dents mais je savais que c’était supportable et je n’ai rien senti de la biopsie. J’ai apporté l’analyse au laboratoire le jour même, fais une radio de la bouche le soir même et pris rendez-vous pour l’IRM. Le stomatologue a pris contact tout de suite avec une chirurgienne par mail et par téléphone et m’a donné les coordonnées pour prendre rendez-vous dès que possible. Je dois dire que j’ai été impressionnée par l’accélération de la prise en charge. Mon rendez-vous à l’hôpital a été fixé la semaine suivante, je n’avais pas encore le retour de la biopsie. IRM, scanner, tep-scanner… Un sentiment très particulier de se retrouver dans le quartier où j’ai fait mes études 20 ans plus tôt.

-          Vous fumez ?

-          J’ai fumé

-          Vous consommez de l’alcool ?

-          Un peu

Trop fumé même si moins que d’autres et pas d’alcool c’est mieux qu’un peu, sans aucun doute.

J’ai le sentiment d’avoir eu beaucoup de chance de tomber sur ce stomatologue puis sur la chirurgienne: l’opération a été calée quinze jours après le premier rendez-vous. C’est rassurant que cela aille si vite car « on se sent pris en charge et entre de bonnes mains » mais on s’imagine aussi forcément que cela va vite car cela ne doit pas traîner… tout devient ambivalent, faire un examen permet de savoir et d’avancer mais l’inquiétude du résultat est bien présente. Certains examens sont impressionnants quand il s’agit de la première fois mais aucun n’est douloureux.

« L’opération suffira peut-être, un mauvais mois de juin et puis ce sera un mauvais souvenir. Ma puce a tenu trois ans avec courage, qu’est-ce qu’un mois ou deux ? ». Le plus dur est de le dire aux proches, d’infliger un nouveau cancer à mon conjoint, à la famille qui n’a pas été épargnée. S’il n’y a pas de traitement long, je ne rentrerais pas dans les détails avec mes filles, elles en ont assez vu.

Je suis bien installée à l’hôpital, j’ai une chambre seule. Un bout de langue et une chaîne de ganglions en moins après l’opération. Je ne m’y attendais pas mais c’est la cicatrice au cou et le retrait des ganglions qui mettent le plus de temps à se remettre. Je craignais la douleur post-opératoire mais j’ai été plus gênée par les effets secondaires du tramadol, l’anti-douleur, que par la douleur elle-même. Je craignais la pose d’une sonde mais il n’en a pas été question. Il est possible de manger liquide, froid et mou assez vite finalement mais je n’avais pas envie. J’ai un stock de boissons protéinées non consommées, ce n’est pas fameux. Comme me l’ont fait remarquer ma tante et une proche amie, à quelque chose malheur est toujours bon, tu rentreras dans ton bikini… L’humour reste le meilleur moyen de passer tout cela avec un bon bouquin de recettes de gaspacho en été, un compagnon qui sait les préparer et des parents qui refont des purées. 

Je n’avais pas envie de me regarder dans une glace. J’ai mis plusieurs jours à le faire. Raide, gonflée, le cou bloqué. Difficile de mettre de l’eau sur la cicatrice au cou au début. J’ai regardé ma langue une semaine après l’opération, au moins. Cela faisait des années que je n’avais pas vu la finale de Roland Garros mais pourtant ce fut le même vainqueur. Vive la télé et surtout les SMS…car pour parler au téléphone et se faire comprendre, il faudra attendre quelques temps…Les internes passent, la chirurgienne passe, tout s’est bien passé, la cicatrice est belle.

Peur de ne pas rentrer comme initialement prévu le lundi du fait des effets secondaires de l’antidouleur (l’opération a eu lieu un vendredi). Peur de rentrer en étant nauséeuse…Le taxi était super sympa et j’ai réussi à faire le trajet jusqu’au bout sans incident.

Trois semaines d’arrêt, cela me semblait long…mais les deux premières semaines, la fatigue est intense, la sieste est requise. J’ai rappelé les infirmiers très sympathiques qui nous avaient accompagnés pour ma fille : ils sont trois, tous les trois ont commencé par dire : « elle est superbe !! » en voyant la cicatrice, bien placée dans le pli du cou. J’ai préféré mettre des pansements pour la protéger. Ils ont pris le temps pour enlever les fils, ils ont attendu pour les retirer deux par deux. Quand commencer l’orthophonie ? La kiné ? Ce n’est pas précisé. Par contre, il est conseillé de chercher tôt les spécialistes prêts à vous accueillir : la plupart des kinés ne font pas ou plus le drainage lymphatique, trop long, trop technique ? Il faut appeler tôt aussi car c’est impressionnant et cela donne envie d’aider. La kiné soulage vraiment car ce qui dure, c’est la gêne et la douleur au réveil à l’épaule.

Trois mois après l’intervention, je chuinte encore un peu – je le sais mais les autres ne le repèrent plus forcément-, surtout en fin de journée de travail, et les séances d’orthophonie sont bien utiles et assez drôles. La kiné est vraiment aidante pour regagner de la souplesse et ne pas craindre de faire tous les mouvements du cou. J’ai compris pourquoi j’avais eu la bouche sèche pendant tout l’été. Au premier rendez-vous de contrôle avec la chirurgienne à Curie, tout va très bien, juste une petite gastrite repérée lors de la fibroscopie, le stress. Une semaine d’antibiotique et je devrais me sentir vraiment mieux. C’était bien un sale mois de juin mais j’ai eu la chance de ne pas enchaîner avec les six semaines de radiothérapie donc ce fût finalement un bel été.

J’ai rejoint ma mère, ma fille et tant d’autres dans le clan des personnes sous surveillance médicale. Nos vies seront ponctuées de rendez-vous de bilan. Pour elle, dans un an et demi, si les bilans sont toujours bons, elle sera guérie. Je ne sais pas si on guérit du cancer de la langue mais si la rémission me permet de repartir pour 40 ans, cela m’ira bien. Et, comme ma fille, je me mets au yoga.